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Photo du rédacteurJules DEBRAILLY

Méga-aéroport, fils d’Eole confronté au mythe de Sisyphe

Sans doute pourrait-on voir dans la conception des gigantesques hubs aériens la volonté de construction parfaite, d’ultra efficacité. Revenons alors à la question de base : pourquoi vole-t-on ? Aujourd’hui, très peu d’entre nous le font pour réaliser le rêve d’Icare, la plupart se contentant de s’engager dans un avion pour aller plus vite, plus loin, dans le plus grand confort, avec un accès aux super technologies, de la manière la plus sûre. Critères que ne peuvent combler dans les mêmes proportions d’autres moyens de transport. Qu’elles nous paraissent obsolètes les aérogares, les motivations et organisations de vols d’il y a cent ans !


Peut-on comparer de profondes mutations ?


        Ce qui était réservé à un cercle restreint de voyageurs d’affaires ou de tourisme est ouvert dorénavant à la masse. L’internationalisation de nos échanges allant de pair avec l’accroissement de la richesse mondiale autorise l’accès et la volonté de se déplacer par les airs. Sur les vingt dernières années, la richesse mondiale est passée de 120 à 330 milliards de dollars et le trafic aérien de 1,5 à 4,3 milliards de passagers. Et ce n’est pas fini puisque l’IATA (International Air Transport Association) prévoit 8 milliards de voyageurs aériens pour 2037.


   Alors l'IATA, tout comme l’OACI (Organisation d’Aviation Civile Internationale, organisation onusienne) ou l’ACI (Airport Council International) avertissent des risques de congestion des aéroports et appellent les Etats à investir rapidement dans les infrastructures. Il faut offrir le meilleur « produit ». Car effectivement, le transport par avion devient un objet de consommation courante. La création en 1999 des World Airport Awards peut être certes perçue comme une action de marketing mais prouve tout autant la nécessité actuelle de satisfaire les attentes conjointes des acteurs du secteur aéronautique en termes de sûreté, sécurité, ergonomie, capacité organisationnelle, optimisation du temps, intégration dans la politique d’aménagement urbaine, impact environnemental et de satisfaction aux demandes d’usagers de plus en plus exigeants.


     Dans un contexte de modernité, d ’ubiquité, de surconsommation la réponse semble consister en la création de Hub internationaux de plus en plus grands : Atlanta (104 millions de passagers par an), Pékin (96 millions) Dubaï (88 millions). Ainsi la Turquie a adopté en 2014 le projet de construction du plus grand aéroport mondial devant atteindre à son terme en 2028 une capacité d’accueil de 200 millions de passagers par an.


Ces nouvelles plateformes aéroportuaires seraient-elles pour autant, grâce à leurs structures et services, plus efficaces que les précédentes ?


       L’exemple d’Istanbul est sur plusieurs points intéressant pour considérer les apports et limites d’une construction type "Greenfield" (construite sur un territoire vierge), par rapport à l’existant antérieur. Deux aéroports internationaux étaient en service sur Istanbul : Atatürk dont l’origine remonte à 1924, 15ème aéroport mondial en termes de fréquentation de passagers (65 millions par an) et celui de Sabiha Gökçen (30 millions de passagers annuel, inauguré en 2003). Les activités d’Atatürk devraient être à terme reconcentrées sur ce nouvel aéroport.


Situé à 35 km nord-ouest d'Istanbul à proximité de la mer Noire, ses travaux ont débuté en 2015 et comportent quatre phases de construction qui dureront jusqu’en 2028. Il a été inauguré, alors que la 1ère phase n’est pas complètement achevée, à l’occasion du 95eme anniversaire de la République turque, par le président Erdoğan le 29 octobre 2018. Cet investissement budgétisé aux alentours de 10 milliards d’euros est intégralement financé par le consortium privé IGA. Ce dernier, l'exploitera pendant 25 ans avant d'en restituer la pleine propriété à l'Etat.


        Toutefois, augmenter le nombre du trafic doit aller de pair avec le développement de la mobilité des passagers, de la fluidité de la circulation au sol comme dans les airs des aéronefs. Là encore les infrastructures prévues semblent ad hoc. La première phase comporte deux pistes parallèles, indépendantes de 4100m et 3750m aptes à accueillir des avions de lignes quadriréacteurs qui nécessitent au moins 3.500m de longueur de piste d’atterrissage. Les aéroports d’Atatürk et de Sabiha Gökçen n’ont aucune piste excédant 3000m. De plus du fait de leur indépendance et parallélisme en s’appuyant sur un réseau de 8 pistes secondaires (taxiways), elles vont permettre une meilleure articulation du trafic. Atatürk dispose de trois pistes non parallèles et Sabiha Gökçen ne possède qu’une seule piste. Le nouvel aéroport alignera aussi le long des pistes et des taxiways un système de balisage de quelques 40 000 ampoules LED d'aide à la circulation afin de faciliter les taxiages et les clairances, même en cas de très faible visibilité (50 mètres). Les installations seront aussi pourvues de 28 postes de dégivrage. Ces technologies plus performantes que celles des aéroports d’Atatürk et Sabiha Gökçen permettront de limiter les retards et les annulations de vols pour causes météorologiques dans cette région côtière aux hivers rigoureux. Ici, l’objectif de grande mobilité rejoint également l’objectif de sécurité.


       Concernant l’aérogare et les aires de stationnement, la première étape de construction forme un gigantesque terminal de plus de 1,3 million de m². L’aérogare comporte 468 comptoirs d’enregistrement. Lui sont reliés 5 jetées (4 jetées internationales et 1 jetée domestique), menant à un total de 77 portes au contact (143 passerelles d'embarquement) dont certaines sont compatibles avec la catégorie F (A380, Boeing 747-8I). 114 gros-porteurs peuvent être simultanément au contact du terminal. Les installations seront aussi dotées de 97 postes de stationnement avions déportés, dont 33 de type MARS (Multiple Apron Ramp System). Quantitativement, les surfaces sont donc plus importantes par rapport aux anciens aéroports stambouliotes et qualitativement nous pouvons noter l’introduction de nouveautés technologiques comme l’utilisation du système MARS permettant d’optimiser l’occupation des espaces de stationnement, améliorant les vitesses de rotation.


      En ce qui concerne les desseins de confort, d’accès aux nouvelles technologies et de sûreté, Istanbul se donne encore tous les moyens de les réaliser. Le nouvel aéroport bénéficie d’une infrastructure informatique innovante et puissante, adaptée aux technologies intelligentes. Elle va permettre de réduire les temps d’attente des passagers aux points de contrôle des passeports et douanes ainsi qu’aux comptoirs d’embarquement. Comme à Dubaï, il est prévu la conception d’un tunnel à reconnaissance faciale pour identifier les passagers et faciliter ainsi leur déplacement dans l’enceinte du hub. L’accès à internet sans coupures, à haut débit et sécurisé sera fourni à 55 mille personnes simultanément (réseaux locaux câblés et sans fil de l’aéroport avec presque 5 mille points d’accès, réseau sans fil étendu, accès internet continu, à haut débit et sécurisé). La sécurité, les points de contrôle des douanes, les magasins en duty-free et toutes les entreprises de l’aéroport seront en service sur cette infrastructure de communication. Il sera installé un système d’automatisation cloud du centre de données de l’aéroport. Le système de gestion des emplacements, qui définit la porte de décollage de chaque avion, les modifications, et les zones d’approche des avions, le système central, le système de gestion des voyageurs, qui permet de fournir le service le plus efficace aux voyageurs.


      En planifiant de devenir la principale plaque tournante aéroportuaire mondiale, le nouvel aéroport va rebattre les cartes du transport aérien au niveau de la capitale turque, des aéroports internationaux et des compagnies aériennes.


       Le second point est l’impact négatif sur l’environnement. Même si l’IAG s’engage à respecter une charte d’environnement durable en poursuivant la certification Envision, des organisations écologiques dénoncent les impacts négatifs sur l’environnement comme la destruction de milieux de vie uniques (zone de passage d’oiseaux migrateurs, 2,5 millions d’arbres ont été détruits par le projet, ainsi que des zones humides et des dunes de sable côtières). Les dirigeants de l’IAG avancent cependant qu’ils recevraient la certification développée avec l’institut des infrastructures durables (ISI) et le programme ZOFNASS de l’université de Harvard. De même qu’ils prévoient un bilan énergétique global plutôt positif puisque le Hub grâce à sa situation géographique permet d’utiliser 75% de moyens courriers pour ses destinations internationales donc des avions moins polluants que des longs courriers.


        La question de l’efficacité des méga-Hub apparaît au moment de ces constats comme subordonnée à celle de la nécessité et des possibilités d’un pays, d’une ville. Le nouvel aéroport global n’est pas forcément un « non-lieu » comme on pouvait l’affirmer il y a cinquante ans mais plus une représentation territoriale propre autorisant les mixités. De ce point de vue, l’essor du nouvel aéroport peut faciliter l’épanouissement économique et une symbiose sociale comme le souhaite le président du conseil de l’OACI : « La croissance du trafic aérien doit contribuer de manière déterminante à la réalisation des objectifs de développement durable de l’ONU 2030, offrant une opportunité de sortir une génération de la pauvreté ». En cela même, il serait efficace aujourd’hui pour répondre aux attentes du monde moderne.


       Il n’en demeure pas moins que la valeur d’un « aujourd’hui » a une durée de péremption de plus en plus courte, en ce sens que la contrainte du développement durable fait évoluer rapidement les critères du bien et du mal pour remettre en question un travail accompli.



Bibliographie et articles relatifs au sujet qui peuvent vous intéresser :

- Moraes, Ricardo. «Turkish Airlines mise sur le nouvel aéroport d’Istanbul.» Air-journal.fr: N.pag. Web. 24 Septembre 2018

- Fabi, Serge. « Turkish Airlines s’installe au nouvel aéroport d’Istanbul.» Air-journal.fr: N.pag. Web.3 Novembre 2018

- Moraes, Ricardo. « Les deux grands aéroports d’Istanbul fermés les 30 et 31 décembre. » Air-journal.fr: N.pag. Web. 17 Novembre 2018

- « IGA Home Page.» IGA. Istanbul Grand Airport, n.d. Web. <https://www.igairport.com>

- «Istanbul Havalimani Home Page.» Istanbul Havalimani. Istanbul Havalimani, n.d. Web. <https://www.istanbulhavalimani.com/tr>

- Billette, Alexandre. «Turquie : les forçats du nouvel aéroport d’Istanbul» RFI. Radio France Internationale. Web. 15 Septembre 2018

<http://wwwhttp://www.rfi.fr/europe/20180915-turquie-forcats-nouvel-aeroport-istanbul-erdogan>

- Street, Francesca. «Istanbul’s new airport aims to be one of world’s largest» CNN. Cables News Network, 31 octobre 2018. Web. 31 octobre 2018

<https://edition.cnn.com/travel/article/istanbul-new-airport-turkey/index.html>

- « IATA Home Page.» IATA. International Air Transport Association, n.d. Web. <https://www.iata.org> -« ICAO Home Page.» ICAO. International Civil Aviation Organizacion, n.d. Web. https://www.icao.int

- Daragahi, Borzou. «Turkey’s massive new Istanbul airport faces a rough take-off. » The National UAE-thenational.ae: N.pag. Web. 15 Octobre 2018

<https://www.thenational.ae/world/europe/turkey-s-massive-new-istanbul-airport-faces-a-rough-take-off-1.780796>

- Mac Nutt, Emilie. «First look inside Istanbul new airport soon to be the world’s largest. » thepointguy.com: N.pag. Web. 26 Octobre 2018

<https://thepointsguy.com/news/first-look-istanbul-new-airport/>

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